Gènes et environnement

Préalables 

1. Définitions

Les recherches sur l’origine génétique de l’intelligence vs l’influence environnementale ont engendré de vifs débats.

Ces  recherches ont tenté d’estimer l’héritabilité de l’intelligence. Or, ce concept est très mal compris et n’est pas synonyme d’hérédité.

L’hérédité désigne « l’ensemble des effets biochimiques des acides nucléiques (ADN et ARN) dans la transmission des caractères, selon un déterminisme strict (la formation de protéines, par exemple) ou complexe (la formation d’un caractère) » (source) alors que l’héritabilité est « la proportion du génotype dans le phénotype d’une population« , c’est-à-dire « la part des gènes dans les différences interindividuelles » d’un trait donné, dans une population donnée. Elle « ne concerne jamais un individu, mais toujours un ensemble d’individus« . « Les différences interindividuelles (le phénotype) sont un mélange d’influences, en partie héritées et transmissibles à la descendance par voie biologique, en partie acquises et résultant des apprentissages ou de facteurs biologiques non génétiques » (Bénesteau). L’héritabilité est une mesure statistique et quantitative. Elle ne sera jamais vraiment et définitivement connue et son calcul nécessite de faire plusieurs hypothèses. En l’occurrence, ce ne peut être qu’une estimation, qu’une statistique. Elle provient de « modèles qui ont été créés pour rendre compte de ce que l’on observe. (Or), ce que l’on observe dépend de nos lunettes » (Gourraud)

On confond un modèle de la génétique « où plusieurs gènes interagissent les uns avec les autres » avec un programme informatique qui déroulerait ses lignes de code. En fait, ce serait « plutôt un potentiel qui est mobilisé ou non à toutes les échelles du vivant en réponse à un environnement changeant »  (Gourraud)

On confond également « ce qui est vrai au niveau des populations et l’indéterminisme à l’échelle individuelle. On peut prédire ce que va faire une foule sans pouvoir prédire ce que va faire une personne » en particulier (Gourraud). C’est comme lorsque l’on évoquait la stabilité du QI dans la population et que, de manière individuelle, on pouvait observer des variations. 


À retenir 

L’héritabilité est souvent confondue avec un caractère héréditaire ou encore avec la part d’inné et d’acquis d’un trait. L’héritabilité est une statistique qui permet d’estimer, au sein d’une population donnée, la part qui revient aux gènes concernant certaines différences interindividuelles observées. Par exemple, si l’héritabilité du QI est estimée à 60%, cela signifie que les différences de QI que l’on observe dans la population sont dues à 60% aux gènes. 

2. Les principales méthodes pour estimer l'héritabilité 
2.1 La méthodes des jumeaux

Pour estimer au mieux l’héritabilité et tenter d’isoler l’interaction entre génotype et environnement, ces études se sont penchées sur les jumeaux. 

Les jumeaux monozygotes (« vrais jumeaux »), issus du même oeuf, partagent 100% de leur patrimoine génétique, alors que les jumeaux dizygotes (« faux jumeaux »), partagent, pour leur part, 50% de leurs gènes. L’hypothèse principale dans la méthode des jumeaux est que les jumeaux monozygotes ou les jumeaux dizygotes partagent deux à deux le même environnement. Pour être plus précis, « la part de variance environnementale est partagée en deux composantes : la part due aux effets de l’environnement partagé par les jumeaux entre eux, notée C, et celle due aux effets de l’environnement non partagé entre eux, notée E » (source), comme les expériences individuelles à l’école, dans les relations avec les paires, la maladie etc. 

Dans ce cas, la part de variance génétique additive, notée A, serait celle-ci dans le cas de jumeaux monozygotes (MZ), puis de jumeaux dizygotes (DZ) où R est la corrélation des valeurs du trait (par exemple le QI) entre les paires de jumeaux :

Rmz = A+C

Rdz = 1/2A +C

Il est alors aisé de calculer la part A qui représente l’héritabilité :

A = 2(Rmz- Rdz) 

Néanmoins, cette méthode sur-estime l’héritabilité car les effets de l’environnement des monozygotes et des dizygotes ne sont pas vraiment identiques. En effet, les jumeaux monozygotes ont un environnement partagé plus semblable que les dizygotes, notamment du fait d’avoir partagé le même chorion durant la grossesse, du fait que les parents tendent à les traiter de manière plus semblable, ou encore du fait que les monozygotes ont tendance à partager et à entretenir une forte intimité. 

De plus, ces études souffrent souvent d’un biais d’échantillonnage car ce sont les monozygotes qui entretiennent le plus leurs ressemblances qui se portent plus fréquemment volontaires pour ce type d’études. 

2.2 La méthode des adoptions

Un autre type de méthode pour estimer l’héritabilité s’est porté sur les adoptions. Elle consiste à étudier la variabilité d’un trait en comparant le trait en question d’enfants, généralement des jumeaux, avec celui des parents biologiques et celui des parents adoptifs si les deux jumeaux ont été élevés séparément ou d’enfants élevés ensemble par des géniteurs différents. Le principe ici est d' »attribuer aux effets de l’environnement la ressemblance entre les parents adoptifs et leurs enfants, de même que celle entre les enfants de géniteurs différents élevés ensemble, et d’attribuer au contraire aux effets génétiques la ressemblance entre les enfants adoptés et leurs géniteurs, de même que celle entre les enfants de mêmes géniteurs élevés séparément » (source).

Comme la méthode des jumeaux, cette méthode souffre de biais. Un important biais est que les adoptions n’ont lieu qu’après un certain temps au cours duquel l’environnement, y compris in utero, peut impacter le développement, et ce, d’autant plus que les parents confiant leur(s) enfant(s) à l’adoption ne sont pas représentatifs de la population. Ainsi, on peut imaginer qu’une mère qui a des problèmes d’alcoolisme et qui choisit de faire adopter son enfant ne sera pas représentative de l’ensemble des mères, et qui plus est, son enfant aura souffert durant la grossesse de la consommation d’alcool de sa mère. Un dernier biais de cette méthode est que les adoptions ne sont pas réalisées au hasard et on observe une ressemblance entre parents adoptifs et parents biologiques. (Otto et al., 1995).


À retenir 

Deux principales méthodes sont régulièrement utilisées pour estimer l’héritabilité d’un trait, en ce qui nous concerne, le QI : la méthode des jumeaux et la méthode des adoptions. Ces méthodes ont été créées pour isoler la part qui revient aux gènes de la part qui revient à l’environnement pour expliquer les différences interindividuelles. Néanmoins, comme tout modèle, elles ne sont qu’approximatives et souffrent de biais qui surestiment l’héritabilité. Les résultats des études sur l’héritabilité seront donc à prendre avec précaution. 

Les différences interindividuelles : études d’adoption et de jumeaux

Parmi les études d’adoption, très peu ont été correctement menées parce qu’une grande quantité de variables difficilement contrôlables interviennent, telles que l’âge de l’adoption, l’âge du test, l’indexation quantitative des similitudes des environnements, l’assignation non aléatoire des environnements, le taux d’abandon des participants. Malgré ces biais, les résultats de ces études rapportent systématiquement des corrélations plus élevées entre les enfants adoptés et leurs parents biologiques au niveau de leur score de QI qu’avec leurs parents adoptifs où la corrélation est très faible. Une étude récente de grande ampleur a rapporté de plus hauts scores de QI, de l’ordre de 3-4 points, chez des enfants adoptés comparativement à leurs frères et sœurs non-adoptés qui sont restés dans leur milieu d’origine (Kendler et al., 2015). Ces résultats amèneraient à penser que le changement de milieu a été bénéfique. Cet effet bénéfique ne se retrouve pas partout. Sur un plus petit échantillon de 38 adolescents de 14 ans environ qui avaient tous été adoptés avant l’âge de 6 mois, Capron et Duyme (1989) ont utilisé le WISC R. Ils ont sélectionné ces jeunes pour créer 4 catégories différentes en fonction du statut socio-économique des parents d’origine et de celui des parents adoptifs. Ce plan d’adoption croisé permet d’évaluer l’impact des différents statuts socio-économiques. 

QI moyen d’adolescents selon le statut socio-économique (SES) de leurs parents biologiques et de leurs parents adoptifs.
(Source : Capron et Duyme, 1989, cité par Grégoire, 2019)

Ces résultats montrent clairement l’influence des facteurs environnementaux sur les performances intellectuelles sans exclure pour autant l’influence de facteurs génétiques

D’autres études ont combiné la méthode des adoptions et la méthode des jumeaux. Elles ont étudié des jumeaux qui ont été adoptés très tôt dans des familles différentes et qui ignorent l’existence de leur jumeau. Ainsi, les corrélations entre les scores obtenus par des jumeaux monozygotes élevés séparément étaient de 0,75 (Plomin et Petrill, 1997) et celles de monozygotes élevés ensemble, de 0,86 (Loehlin et Nichols, 1976), alors que celles de jumeaux dizygotes s’élevaient en moyenne à 0,60, même sur de grands échantillons. La figure ci-dessous, issue de Haier (2017), mais compilée par Plomin et Petrill (1997) à partir d’autres recherches (Bouchard et McGue, 1981 ; Loehlin, 1989 ; Pedersen et al., 1992) résume les différentes corrélations des scores de QI entre monozygotes élevés ensemble, élevés séparément, dizygotes élevés ensemble, élevés séparément, parents parents biologiques, parents adoptifs, frères et sœurs. 

Par le biais de ces études, les acteurs de ce champ de recherche se sont rendus compte que les corrélations entre les scores de QI de jumeaux pouvaient varier en fonction de l’âge auquel les sujets étaient évalués. Par exemple, pour des jumeaux de 4-6 ans, l’héritabilité a été estimée à 40% alors que plus tard, elle était de 85% pour des jumeaux adultes. En d’autres termes, l’influence génétique sur la variabilité du QI était de plus en plus grande en grandissant alors que les effets de l’environnement devenaient moins importants. Toutefois, ces études ont concerné des sujets testés alors qu’ils avaient tous des âges différents. Cette perspective a été critiquée car elle ne se base que sur une approche différentielle du trait observé et ignore l’aspect développemental. En effet, nous ne savons pas comment ce trait se développe. Ces deux approches (différentielle et développementale) devraient être complémentaires. Posthuma et al. (2003) ont tenté de résoudre ce problème en effectuant une étude longitudinale utilisant les mêmes sujets à des âges différents. L’héritabilité de l’intelligence a été estimé à 26% à l’âge de 5 ans, à 39% à 7 ans, 54% à 10 ans, 64% à 12 ans, et à 80% à partir de 18 ans. Des hypothèses ont été proposées pour expliquer cette augmentation de l’héritabilité qui semble correspondre à une meilleure interaction entre les gènes et l’environnement. Scarr et McCartney (1983) ont suggéré qu’en plus de réagir aux stimulations de l’environnement en fonction de son potentiel génétique, l’individu sélectionne aussi son environnement sur la base de ses dispositions génétiques (« l’intelligence cherche sa nourriture« ). Ils proposent 3 types d’effets d’interaction génotype-environnement :

  • un effet dit « passif » où les parents fournissent à leur enfant à la fois les gènes et un environnement favorisant le développement du trait. C’est le cas des parents surdoués qui possèdent chez eux de quoi nourrir leur curiosité. L’enfant pourra alors bénéficier de cette nourriture intellectuelle à disposition (livres, certains jeux, documentaires, voire visites de musées). 
  • un effet dit « évocatif » ou « réactif« . Il représente les réponses que les différents génotypes suscitent de l’environnement. L’individu provoque une certaine réponse environnementale favorisant le développement du trait. Par exemple, un enseignant au fait du QI d’un de ses élèves lui fournira un environnement enrichi pour maximiser son intelligence.
  • un effet dit « actif » où l’individu est actif dans la construction de son environnement. Les dispositions génétiques de l’individu lui font rechercher activement un environnement qui va contribuer à développer celles-ci. Par exemple, un enfant génétiquement doué va rechercher ou provoquer des interactions qui vont stimuler le développement de ses capacités cognitives. D’où l’idée que « l’intelligence cherche sa nourriture ». 

Turkheimer et al. (2003) ont testé cette hypothèse en analysant les performances de 623 paires de jumeaux tout en prenant en compte dans l’équation le statut socio-économique de leurs parents. Il est apparu que « dans les familles pauvres, 60 % des différences de QI étaient liées aux conditions environnementales d’éducation et que le facteur génétique avait un impact quasi nul sur ces différences » (Grégoire, 2019). En revanche, dans les familles aisées, le résultat inverse est observé, à savoir que le facteur génétique a une influence importante sur les différences de QI et les facteurs environnementaux, une influence négligeable. 

L’influence génétique de ces deux facteurs ne serait donc pas linéaire : lorsque le statut socio-économique des parents est faible, les variations de l’environnement, notamment des conditions éducatives, seront déterminantes pour les performances intellectuelles, alors que lorsque le statut socio-économique des parents est élevé et les conditions éducatives optimales, ce sont les différences génétiques qui auront un plus grand impact sur les performances

Néanmoins, les études menées par la suite pour tester l’hypothèse de Scarr-Rowe ont obtenu des résultats contradictoires. Dans une méta-analyse de 2015 portant sur 50 000 personnes, Tucker-Drob (2003) conclue que l’hypothèse de Scarr-Rowe est confirmé aux États-Unis mais pas en Europe ou en Australie où la variabilité des statuts socio-économiques est plus faible. En même temps, cette étude souffre de biais méthodologiques, notamment le codage des catégories socio-économiques qui n’est pas standardisé sur l’ensemble des pays. 

Si l’on ne se réfère pas aux méthodes d’adoption et des jumeaux pour juger la part qui revient aux gènes et celle qui revient à l’environnement, mais que l’on observe les données d’échantillonnage du WISC V, on obtient des QI moyens selon les niveaux de diplômes. Lors des précédentes versions du test, étaient encodées les catégories socio-professionnelles, mais on s’est aperçu que le QI était davantage corrélé au niveau de diplôme des parents que de leur catégorie socio-professionnelle. Six groupes ont été créés : 1) les enfants dont les parents n’ont pas de diplôme ; 2) les enfants dont les parents ont un certificat d’étude primaire, un brevet des collèges ou un BEPC ; 3) les enfants dont les parents ont un CAP ou un BEP ; 4) les enfants dont les parents ont le baccalauréat ou un brevet professionnel ; 5) les enfants dont les parents ont un niveau bac+2 ; et 6) les enfants dont les parents ont un niveau supérieur à bac+2. Sans rentrer dans les détails, les QIT des enfants appartenant à la première catégorie (dont les parents n’ont pas de diplôme) étaient en moyenne de 90,67. Les QIT des enfants appartenant à la 2e catégorie (certificat d’étude, brevet des collèges, BEPC) étaient en moyenne de 95,68. Ils étaient de 100,94 pour la 4e catégorie (baccalauréat ou BP) et de 107,88 pour la catégorie des enfants dont les parents ont un diplôme supérieur à bac+2. La différence de Q.I. était au maximum de 17,21 points, mais cela reste dans la zone moyenne de la courbe de Gauss. Ces différences apparaissaient surtout au niveau de l’ICV (jusqu’à 15,20 points) et elles étaient beaucoup plus faibles au niveau de l’IVT (9,22 points). Toutefois, il faut noter que ces différences observées sont relatives : d’une part, aucune des catégories ne se trouve dans une zone de handicap ; et d’autre part, l’étendue de la distribution des Q.I. était semblable dans toutes les catégories. Pour exemple, dans la première catégorie où les parents n’ont pas de diplôme, les QIT des enfants allaient de 50 à 147 ; ils allaient de 72 à 134 pour la dernière catégorie où les parents avaient un diplôme supérieur à bac+2. Tout ceci signifie qu’on peut avoir un Q.I. faible ou élevé quelque soit le milieu social.


À retenir 

Toutes les études qui ont tenté de comprendre les différences interindividuelles en termes de performances cognitives ont montré une participation des gènes mais aussi de l’environnement. La part de l’un et l’autre varie selon les études et les biais inhérents au modèle utilisé. Elle varie également selon l’âge ou encore selon le milieu d’origine. Par ailleurs, les gènes et l’environnement interagissent mutuellement. 

Génétique et neuroscience

Beaucoup de régions reliées au QI et qui font intervenir le PFIT sont sous contrôle génétique à certain degré (Pol et al., 2002 ; Posthuma et al., 2002 et 2003 ; Thompson et al., 2001 ; Toga et Thompson, 2005).

Thompson et al. (2001) ont étudié 10 paires de jumeaux monozygotes (vrais jumeaux) et 10 paires de jumeaux dizygotes (faux jumeaux) en estimant la contribution des gènes sur le volume de matière grise. La contribution génétique la plus importante était au niveau du cortex frontal et pariétal. 

Posthuma et al. (2003), auprès d’un plus large échantillon, ont observé que les volumes de matière grise, blanche et cérébelleuse étaient corrélés avec la mémoire de travail et liés à des bases génétiques communes. La vitesse de traitement était liée génétiquement à la substance blanche (épaisseur de la myéline) ; l’organisation perceptive était en lien à la fois avec les gènes et avec l’environnement au niveau du volume du cervelet. Quant à la compréhension verbale, elle n’était liée à aucun de ces 3 volumes, ce qui est en contradiction avec l’étude de Pfleiderer et al. (2004) cité plus tôt.

Des résultats similaires ont été trouvés à partir de 112 paires de jumeaux de 9 ans (Leeuwen et al., 2008). Une étude longitudinale sur des jumeaux cette fois-ci adultes (Brans et al., 2010) a examiné les changements de l’épaisseur corticale durant 5 ans et observe que le degré de changement cortical, en d’autres termes la plasticité, avait une base génétique et était relié au QI. Les hauts scores de QI étaient liés à l’amincissement du cortex frontal au fil du temps et à l’épaisseur du cortex parahippocampique situé dans le lobe temporal et impliqué dans la mémoire. Cette étude conclut que ces deux variables pourraient avoir une base génétique commune. Alors que la majorité des études se sont concentrées sur le cortex, une autre étude IRM s’est intéressée aux structures sous-corticales (Bohlken et al., 2014). Ici, seul le volume du thalamus, véritable plaque de la connectivité des circuits cérébraux, était lié au QI. Une composante génétique commune était impliquée entre les deux. 

Ce champ de recherche est très dynamique et s’affine progressivement. 


À retenir 

À l’aide d’études sur les jumeaux, on a pu commencer à entrevoir quelles régions cérébrales importantes pour les performances intellectuelles étaient davantage sous la dépendance des gènes. On a également pu observer une trajectoire développementale particulière chez les personnes à haut QI. 

Quels gènes ? 

Pour tenter d’identifier les gènes qui pourraient éventuellement intervenir dans l’efficience cognitive, sept études récentes majeures de grande ampleur ont apporté un embryon de réponse. Ces sept études sont citées dans le livre de Richard Haier (Neurosciences of Intelligence) paru en 2017. Depuis, il y a sûrement dû avoir d’autres études, mais je ne me sens pas capable de les éplucher et d’en faire synthèse argumentée. 

Parmi ces sept études, une en particulier est importante car elle a fait participer des chercheurs de deux consortiums, utilisant ainsi les données de 59 investigateurs du monde entier (Rietveld et al., 2014). Ces chercheurs ont utilisé un processus en deux étapes avec, dans un premier temps un échantillon de 106 736 individus et dans un deuxième temps, une réplication indirecte dans un échantillon indépendant de 24 189 individus.  Dans le premier échantillon, des millions de SNPs (Single-Nucleotid Polymorphisms, polymorphismes mononucléotidiques) ont été évalués pour l’ADN de chaque personne et 69 ont pu être liés au niveau de scolarité atteint (en années d’études). Or, nous l’avons déjà évoqué dans la partie précédente, le niveau d’éducation est fortement corrélé à l’intelligence. Dans le deuxième échantillon, ces 69 SNPs ont été testés afin d’analyser d’éventuelles associations avec les scores de tests cognitifs de facteur g. Plusieurs analyses statistiques avancées ont révélé quatre gènes spécifiques (KNCMA1, NRXN1, POU2F3, SCRT) qui étaient liés à de très faibles variations de performances cognitives. Or, ces gènes sont connus pour influencer le glutamate, neurotransmetteur lié à la plasticité cérébrale, à l’apprentissage et à la mémoire. Même si ces gènes ne permettent d’expliquer qu’une petite quantité de variance de l’intelligence, cette étude démontre la réalité statistique de la nécessité de travailler sur de grands échantillons pour pouvoir trouver de petits effets.  

À la même époque, la deuxième étude (Hill et al., 2014) a analysé le génome de 3 511 individus pour étudier de petits effets de 1 461 gènes spécifiques sur l’intelligence. Ils ont commencé en étudiant des gènes provenant d’un réseau lié au fonctionnement post-synaptique (la transmission de l’information entre deux neurones et spécifiquement sur la réception de cette information au niveau du deuxième neurone). Après réplication dans des échantillons indépendants, les protéines liées au récepteur du glutamate, appelé NMDA, ont été associées spécifiquement à l’intelligence fluide mais pas aux autres capacités cognitives.  

Un autre groupe de chercheurs s’est intéressé à un gène spécifique et à ses effets sur l’intelligence après un traumatisme crânien ayant engendré une lésion cérébrale (Barbey et al., 2014). Ce gène s’appelle BDNF (Brain Derived Neurotrophic Factor). C’est un facteur de croissance des neurones car il est impliqué dans la croissance, la différenciation et la survie de ceux-ci.  Il est donc lié au fonctionnement cognitif chez les personnes en bonne santé, notamment au niveau de la mémoire. Val66Met, un gène associé au BDNF, est impliqué dans les mécanismes de réparation neuronale du cortex préfrontal après un traumatisme crânien. Pourtant, toutes les personnes ayant eu un traumatisme crânien aux lobes frontaux ne récupèrent pas toutes de la même façon, notamment en ce qui concerne les performances aux tâches de facteur g. Sachant qu’il existe deux variantes du gène Val66Met codant pour le facteur de croissance BDNF (Val/Met et Val/Val), les chercheurs ont voulu savoir si l’une ou l’autre de ces variantes était liée à la préservation de l’intelligence après un traumatisme crânien. Les auteurs ont utilisé un groupe de 151 vétérans de la guerre du Vietnam qui avaient subi une blessure à la tête au niveau des lobes frontaux. Ces vétérans ont été évalués avec la WAIS III et les auteurs se sont aussi servis de leurs performances au test de qualification des forces armées, administré lors de leur entrée dans l’armée. Alors que les scores au test de sélection de l’armée ne différaient pas, les performances à la WAIS III différaient de manière significative pour les vétérans porteurs de la variante Val/Val où l’on observait une diminution importante des performances sur tous les indices de la WAIS III, alors que les porteurs de la variante Val/Met récupéraient leurs performances beaucoup mieux. 

Encore une autre approche fut utilisée pour cette étude (Davis et al., 2015), qui se concentre sur une certaine protéine associée à la taille et à l’évolution du cerveau. Or, cette protéine, la DUF1220, possède deux variantes : CON1 et CON2.  De nombreuses séquences de gènes ont plusieurs copies dans l’ADN d’une personne et l’on sait que le nombre de certaines copies peut être lié à des maladies et à d’autres traits. Dans cette étude, non seulement le nombre de copies de CON2 était associé aux scores de QI, mais l’association était linéaire, c’est-à-dire que plus il y a de copies de CON2, plus le QI est élevé.  La taille du cerveau, évaluée par IRM, était également corrélée au score de QI, en particulier au niveau de la surface des lobes temporaux et celle du lobe frontal droite et était liée à une plus grande quantité de CON1 et CON2. Même si les échantillons étaient plus petits que lors des études précédentes (de l’ordre de 600 individus comparés à plusieurs plusieurs dizaines de milliers d’individus dans d’autres études), la nature linéaire des résultats est intrigante, en particulier parce qu’elle était plus forte chez les hommes âgés de 6 à 11 ans.  Il y a un certain nombre de raisons de se méfier de ce résultat, comme l’ont reconnu les auteurs, et il est trop tôt pour l’accepter tel quel. 

Une étude portant sur des associations à l’échelle du génome chez 12 441 enfants âgés de 6 à 18 ans et avec une réplication sur 5 548 personnes (Benyamin et al., 2014) ont identifié un regroupement de SNPs communs représentant 22% à 46% de la variance de l’intelligence.  Le gène FNBP1L représentait par exemple des variances de l’ordre de 1,2%, 3,5% et 5% au sein des trois cohortes utilisées. Malgré le grand nombre de sujets, la variance n’est pas la même et les auteurs concluent qu’il faudrait un échantillon encore plus important. 

La sixième étude a utilisé pas moins de 31 cohortes portant sur un nombre de sujets de 53 949 (Davies et al., 2015). Dans tous les échantillons, 13 SNPs étaient associés à la capacité cognitive générale, représentant 28% de la variance. Trois régions génomiques ont été associées à ces SNPs. Conformément au modèle polygénique de l’hérédité, ces gènes expliquent individuellement de petites proportions de variance.  Les chercheurs concluent également que des échantillons encore plus grands seront nécessaires pour identifier des associations à l’échelle du génome. 

La septième étude citée par Haier vient de la Chine (Zhao et al., 2014).  Elle utilise une approche de la biologie des systèmes qui est conçue pour élucider les interactions complexes de régulation et générer des hypothèses sur les mécanismes qui les entraînent.   Ces recherches ont sélectionné 158 gènes qui avaient été associés aux scores de QI. Elles ont cartographié l’emplacement de ces gènes sur les chromosomes et ont trouvé une certaine adhérence dans sept régions du chromosome 7 et du chromosome X.  Une grande partie de ces gènes étaient connus pour être impliqués dans divers mécanismes neuronaux. Des voies liées aux performances intellectuelles impliquaient principalement la dopamine et la norépinéphrine, des neurotransmetteurs impliqués dans de nombreuses fonctions cérébrales.     

Toutes ces études décrites par Haier illustrent le travail déjà accompli et encore à accomplir pour mieux comprendre les bases génétiques liées à l’intelligence.  Plusieurs consortiums mondiaux travaillent actuellement pour ajouter un autre élément méthodologique, la neuroimagerie quantitative pour mesurer la structure et les fonctions cérébrales. En ce sens, une importante recherche de Chiang et al. (2012) a investigué les gènes spécifiques liés à la connectivité du cerveau et à l’intelligence sur 472 jumeaux et leur fratrie. Les résultats de leur analyse ont permis d’identifier 14 possibles gènes intervenant dans l’intelligence. Cependant, ces résultats doivent être répliqués et confirmés par d’autres recherches. 


À retenir 

Durant la dernière décennie, plusieurs consortiums se sont lancés dans la recherche de gènes liés à l’intelligence. Selon le modèle polygénique de l’hérédité, il n’y a pas un ou une poignée de « gènes de l’intelligence », mais quantité de gènes codant pour des protéines qui permettent chacune de faciliter les échanges neuronaux et les fonctions cérébrales. Chaque gène intervient ainsi de manière infinitésimal dans le fonctionnement du cerveau et c’est un ensemble très grand de gènes qui permettra au cerveau de mieux fonctionner. Mais ce n’est pas tout, car un cerveau qui possède par exemple de meilleurs échanges neuronaux ne fait pas un raisonnement intelligent. C’est là le domaine de la psychologie qui prend en compte d’autres variables telles que la motivation, la curiosité, les stratégies, les émotions, les biais cognitifs etc. C’est là aussi le domaine de la psychologie sociale qui analyse l’impact de l’environnement, des interactions sociales, des préjugés etc. Il est donc important ici de comprendre qu’il n’y a pas de déterminisme et que les performances à une tâche intellectuelle ou encore la gestion des émotions, la qualité des relations sociales sont des choses bien plus complexes que l’addition de quelques gènes. 

Sources

Barbey A.K., Colom R., Paul E., Forbes C., Krueger F., Goldman D., Grafman J. (2014). Preservation of General Intelligence following Traumatic Brain Injury: Contributions of the Met66 Brain-Derived Neurotrophic Factor. PLoS ONE, 9, e88733.

Benyamin, B., Pourcain, B., Davis, O. et al. (2014). Childhood intelligence is heritable, highly polygenic and associated with FNBP1L. Molecular Psychiatry, 19, p 253–258.

Bohlken M.M., Brouwer R.M., Mandl R. C.W., van Haren N. E.M., Brans R. G.H., et al., (2013). Genes contributing to subcortical volumes and intellectual ability implicate the thalamus. Human Brain Mapping, 35 (6), p 2632-2642. 

Bouchard TJ Jr, McGue M. (1981). Familial studies of intelligence: a review. Science, 212 (4498), p 1055-1059.

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