La pensée en arborescence

Pensée simultanée vs pensée linéaire

La pensée en arborescence est souvent décrite par opposition à une pensée qui serait linéaire, séquentielle. Pour autant, elle n’a jamais été observée par les neurosciences. C’est un concept franco-français. Pour faire face aux critiques des scientifiques qui remettaient en cause son existence, l’instigatrice de ce terme a alors précisé qu’il s’agissait d’une métaphore. C’est-à-dire ? 

Ce type de pensées consisterait, à partir d’une pensée initiale, à engendrer de manière simultanée une multitude d’autres pensées en lien direct avec cette première pensée. 

En premier lieu, il ne peut y avoir de pensées simultanées. Une pensée est toujours unique. Elle est le résultat de plusieurs traitements neuronaux qui eux, se font de manière simultanée, mais la pensée, elle, n’est que LE produit de toutes ces opérations qui sont elles, inconscientes. Ce qui donne cette sensation de simultanéité est la rapidité à laquelle s’enchaînent les pensées. Le fait qu’on n’ait pas fini de prononcer une phrase qu’une autre idée nous vient à l’esprit ne signifie pas que ces deux idées soient simultanées mais que le temps de programmation motrice et d’articulation de la phrase n’est pas fini alors qu’une autre idée arrive à la conscience. Deux idées s’enchaînent donc rapidement et parfois, la première n’a pas eu le temps d’être prononcée en entier que la seconde arrive. 

Le vagabondage de l’esprit

De plus, lorsque les professionnels expliquent ce type de pensées, ils partent d’une idée principale qui donnerait naissance à une foule d’autres idées. Ramus et Gauvrit (2017) ont interprété ce type de pensées comme étant de la pensée divergente. Les tests de créativité évalue ce type de pensée en demandant par exemple de produire un maximum de réponses/idées à partir d’un point de départ donné. Néanmoins, dans la clinique, on rencontre peu cette pensée divergente qui s’arrête souvent à 2 idées, rarement plus. En revanche, on rencontre beaucoup plus souvent le vagabondage de l’esprit. Le vagabondage de l’esprit, ce sont toutes les pensées que vous avez lorsque vous n’êtes pas concentré sur une tâche. Il fait appel au réseau du mode par défaut du cerveau qui est un réseau neuronal qui se met en marche lorsqu’on n’est pas occupé à quelque chose de précis ou lorsque l’on décroche d’une tâche. 

Afin de distinguer ce type de pensées d’autres qui ne font pas fonctionner les mêmes aires cérébrales, Stawarczyk (2013), dans ses travaux de thèse, a défini le vagabondage en fonction du lien avec la tâche en cours de réalisation et de la dépendance aux stimuli. Ainsi, lorsque nos pensées sont en lien avec la tâche en cours et que l’on traite les stimuli de la tâche, l’attention est totalement orientée vers la résolution de la tâche. Lorsque nos pensées sont en lien avec la tâche mais à partir de stimuli indépendants à cette tâche, nos pensées interfèrent avec la résolution de la tâche. Cela arrive lorsque nous tentons de résoudre un exercice mais que nous nous jugeons sur nos compétences à le résoudre. Cela a certes un rapport avec la tâche, mais pas pour la résoudre, car nous sommes préoccupés par l’image de soi par exemple. Lorsque nos pensées n’ont pas de lien avec la tâche et qu’elles s’orientent vers d’autres stimuli, comme par exemple des bruits, une mouche qui vole ou même des sensations corporelles, ce sont des distractions externes. Et enfin, dernier cas de figure, lorsque nos pensées n’ont rien à voir avec la tâche et traitent des stimuli indépendants à cette tâche, c’est le vagabondage de l’esprit. En somme, on décroche et on pense à autre chose. 

Types de pensées selon le lien avec la tâche en cours et la dépendance aux stimuli.
(source : Stawarczyk 2013)

Beaucoup de surdoués (selon les psychologues médiatisés, mais pas forcément en consultation) disent vouloir mettre leur cerveau sur pause et envier les personnes qui ne réfléchissent pas. Or, le vagabondage de l’esprit représente selon les recherches entre 25 % (Kane et al., 2007) et 50 % (Killingsworth et Gilbert (2010) du temps d’éveil… chez tout le monde.

Importance et types de vagabondage de l’esprit.
(source : Killingsworth et Gilbert, 2010 )

Il ne faut pas non plus nier le rôle de la personnalité qui va aimer aller vagabonder selon ses désirs et besoins.  Par ailleurs, ce n’est pas le vagabondage de l’esprit en soi-même qui est délétère, mais le type de pensées et la spécificité du traitement l’information (Vrielynck et Philippot, 2012):

  • traitement imagé/concret vs verbal/abstrait,
  • traitement spécifique vs général, 
  • valence du contenu des pensées positive vs négative,
  • focalisation sur les stimuli contextuels vs les réponses émotionnelles,
  • focalisation externe vs interne de l’attention.

Dans les paramètres cités ci-dessus, ce sont les 2e parties qui sont délétères (verbal/abstrait, général, négative, réponses émotionnelles et interne). En d’autres termes, si nous avons tendance à interpréter un événement de manière verbale et trop abstraite, en le généralisant, en interprétant de manière négative, en se focalisant sur nos réponses émotionnelles plutôt que sur le contexte, et en portant notre attention à l’intérieur de nous, plutôt qu’à l’extérieur, nous avons de grandes chances d’aller mal et de pas aimer notre vagabondage de l’esprit et donc à vouloir mettre notre cerveau sur pause.

Finalement, pensée linéaire

Comme dit précédemment, une pensée ne peut qu’être séquentielle : une idée A amène vers une idée B, qui à son tour, engendre une pensée C etc jusqu’à ce que vous soyez interrompu par un stimulus extérieur (une personne ou un objet) ou par vous-même qui décidiez de vous mettre à faire autre chose. Ce sont des pensées qui rebondissent comme par ricochet, un peu comme la comptine « Marabout, Bout de ficelle, Selle de cheval, Cheval de course… » de notre enfance. Un petit exercice pour vous en convaincre : lorsque vous vous êtes rendu compte que vous étiez parti très loin, essayez de repartir à l’envers pour remonter à la première pensée. Mis à part que c’est un excellent exercice de mémoire de travail, vous verrez que chaque idée est liée à la précédente, qui est elle-même liée à … par des liens très divers, mais toujours de manière séquentielle. 

Comme précisé, cela concerne tout le monde, pas que les personnes à haut potentiel intellectuel. En revanche, là où ces personnes peuvent se différencier, c’est qu’elles possèdent, en moyenne, plus de connaissances et qu’elles sont capables de mieux manipuler l’abstraction, ce qui leur permet peut être (sans obligation) d’avoir plus de grain à moudre. 


À retenir 

La pensée en arborescence est un concept français dont la littérature scientifique internationale ne parle pas. Il s’agit d’une métaphore utilisée par certains cliniciens. Il ne peut en effet y avoir plusieurs pensées en même temps de part les contraintes neurophysiologiques de l’être humain. Il n’y a qu’une seule pensée à la fois qui résulte de plusieurs opérations qui se sont déroulées, elles, simultanément. La pensée n’est que le produit de toutes ces opérations. En revanche, ces pensées peuvent se succéder rapidement donnant cette impression de simultanéité. De plus, il semblerait que ce dont on parle corresponde au vagabondage de l’esprit qui se produit lorsque nous décrochons d’une tâche et partons dans nos pensées. Le vagabondage de l’esprit utilise le réseau du mode par défaut du cerveau, signifiant que tout le monde est concerné et que ce processus est banal. 

Sources

Kane M. J., Brown L. H., McVay J. C., Silvia P. J., Myin-Germeys I., Kwapil T. R. (2007). For whom the mind wanders, and when: An experience-sampling study of working memory and executive control in daily life. Psychological Science, 18 (7), p 614–621.

Killingsworth M. A., Gilbert D. T. (2010). A wandering mind is an unhappy mind. Science, p 330, 932.

Stawarczyk D., (2013). Le vagabondage de l’esprit : aspects cognitifs, affectifs et neuronaux des pensées découplées des situations et tâches en cours. Thèse de doctorat en sciences psychologiques et de l’éducation. Université de Liège.

Vrielynck N, Philippot P. (2012). Régulations des émotions et spécificité du traitement de l’opération. In Traité de régulation des émotions. Mikolajczak M. et Desseilles M. (dirs).

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