Nombreuses personnes à haut potentiel intellectuel affirment qu’elles ne supportent pas l’injustice. Ceci est même devenu un trait les caractérisant dans la littérature grand public. Mais qu’est exactement ce sentiment d’injustice ? Y a-t-il déjà une définition scientifique ? Est-ce qu’il n’y a que les personnes à haut QI qui y sont sensibles ?
De quoi parle-t-on au juste ?
Le sentiment d’injustice n’existe pas scientifiquement parlant, comme beaucoup de concepts utilisés en psychologie populaire, alors j’essaie de décrypter ce qui se cache derrière.
En premier lieu, ce qui interpelle, c’est que ce qui paraît injuste pour quelqu’un ne l’est pas pour l’autre et inversement. La notion de justice ne serait donc pas absolue mais relative. Dans ce cas, cela signifie que ce qui est considéré comme juste ou injuste dépend d’une certaine vision du monde. Une personne peut ainsi ressentir de l’injustice parce que l’autre s’est comportée d’une manière non conforme à sa façon de voir les choses. Autrui transgresserait alors les règles érigées dans la vision du monde d’une personne. Ceci peut être très difficile à comprendre et à admettre car notre vision du monde sont nos lunettes pour donner sens à ce qui nous entoure, pour juger ce qui est bien et ce qui est mal, ce qui se fait et ce qui ne se fait pas, ce qui est juste de ce qui ne l’est pas. En ce sens, tout écart par rapport à notre vision du monde peut être source d’émotions. Très souvent, plus cet écart est important, plus l’émotion est forte. À ce moment-là, l’émotion est tellement intense qu’elle capte toute l’attention et il est alors difficile d’accéder au point de vue d’autrui pour tenter de comprendre ses motivations en utilisant la théorie de l’esprit, composante de l’empathie. Or, changer de point de vue est la clé. Non pour adopter celui d’autrui, mais pour accepter que l’on a tous des manières différentes de voir le monde et que notre vision ne représente pas la réalité, même si on en est persuadé. Cette prise de perspective est primordiale pour le bien-être et la santé, sinon, l’adhésion rigide à un système de croyance rend auto-centré et accentue le sentiment de décalage.
On peut également ressentir de l’injustice parce que l’on est victime de la transgression d’une règle établie par un règlement, une loi, une norme. Par exemple, on est puni pour quelque chose alors que l’on n’a rien fait ; exemple parfait d’un événement qui n’est pas « juste » au sens « exact » du terme si l’on suit le règlement. Toutefois, il y a derrière une vision du monde : la croyance selon laquelle le monde est juste et doit l’être en permanence. Pourtant, si l’on fait l’effort de changer de perspective, la personne qui punit a également besoin que le monde soit juste et que les erreurs soient punies. Ce n’est certes pas agréable mais cette personne le fait en pensant que sa punition est juste.
Il y a aussi le sentiment d’injustice qui ne concerne pas soi mais qui concerne autrui. Cela peut rejoindre la partie sur l’empathie et la projection éventuelle de nos sentiments et de nos peurs. La première chose à se demander est si l’autre personne ressent réellement de l’injustice. La réponse ne doit pas apparaître rapidement et intuitivement comme par défaut (« évidemment ! »), mais demande un vrai travail de reconnaissance d’émotions et de prise de perspective. La seconde question à se poser concerne la source de ce sentiment d’injustice : provient-elle d’une vision du monde partagée avec l’autre personne, auquel cas, mon sentiment serait biaisé par ma propre façon de voir les choses et on retomberait dans le premier point. La source du sentiment d’injustice peut aussi être la transgression par un autre protagoniste d’un règlement établi, voire d’une norme. Ce peut être, par exemple, le règlement intérieur d’un établissement scolaire que quelqu’un va transgresser et qui n’amènera pas à une punition. Dans ce cas, ce serait notre désir de respecter le cadre qui engendrera ce sentiment. Ce comportement peut aller jusqu’à une forme importante de rigidité, car ce qui gêne la personne, c’est le fait même de transgresser la règle et non pas les conséquences (qui d’ailleurs sont parfois légères, voire inexistantes). On peut aussi ressentir de l’injustice pour quelqu’un qui est puni alors qu’il n’a rien fait. Ce sera alors la vision du monde que le monde est juste dont j’ai parlé dans le paragraphe précédent.
Nos visions du monde ne sont pas inutiles ou amenant forcément à un mal-être. On peut s’en servir comme d’une boussole qui oriente nos choix de vie selon nos valeurs (qui sont d’ailleurs des visions du monde). Il faut néanmoins être conscient qu’elles ne sont pas universelles. En ce sens, on ne peut pas les imposer, attendre qu’autrui les partagent, les respectent. En ce sens aussi, il faut faire un pas pour prendre connaissance de celles d’autrui. On ressentira alors moins de ressentiment et on s’orientera vers quelque chose de plus utile.
Le sentiment d’injustice et Haut Potentiel Intellectuel
Recherche clinique
Le sentiment d’injustice peut être mis en parallèle avec l’Agréabilité du modèle de la personnalité en 5 facteurs (pour les enfants, le terme utilisé est Bienveillance). Je présente également des données issues d’une recherche que je réalise autour de la personnalité de ces personnes. Au jour de l’écriture de ce billet, j’ai une dizaine d’adultes dont la personnalité a été évaluée grâce au NEO PI III (les années précédentes, d’autres adultes ont été évalués à l’aide du NEO PI R), et 46 enfants dont la personnalité, évaluée par leurs parents, a été réalisée à l’aide de l’HiPIC.
Chez les enfants, on observe une bienveillance moyenne mais se dirigeant vers la moyenne faible. Contrairement à tout ce que l’on entend sur ces enfants, l’altruisme se trouve pile-poil à la moyenne et l’égocentrisme, légèrement au-dessus de la moyenne tout en étant dans la norme. Le reste des facettes est en lien avec des difficultés de régulation émotionnelle qui amène l’enfant à être irritable, désobéissant, et dominant avec autrui. Je rappelle qu’il s’agit d’enfants reçus en consultation. Pour les enfants, les plaintes proviennent des parents qui ont des difficultés à gérer le comportement de leurs enfants.
Pour les adultes, on observe un profil inverse car ce sont eux qui sont demandeurs et non pas/plus leurs parents. Les adultes consultants sont assez ouverts d’esprit, sont demandeurs d’aide, et veulent se remettre en cause. Les motivations de consultation induisent donc des profils différents. Notons également les valeurs extrêmes représentées par les points bleus.
Anecdotes cliniques
De ma pratique clinique – même si elle est biaisée car n’ayant pas la rigueur d’une recherche scientifique -, sur les quelques centaines de personnes à haut potentiel intellectuel qui sont venues me rencontrer, seulement 10 à 15 d’entre elles avaient réellement un comportement en accord avec leurs valeurs ; les autres étaient prises dans des problématiques classiques d’interprétation du monde et de régulation émotionnelle. Elles voyaient les choses selon leur point de vue et souffraient du décalage existant entre ce qu’elles voulaient et la réalité. Cela relevait donc, comme les personnes tout venant, d’une problématique auto-centrée tout à fait classique. Ainsi, j’ai reçu des personnes qui se disaient hypersensibles, qui souffraient réellement et qui ne m’ont jamais rémunérée pour les heures passées avec elles, des personnes qui souhaitaient un rdv à Paris en réservant des prestations qui s’étendent sur une journée alors qu’elles savaient que je me déplaçais exprès, avec ce que cela implique en terme de frais de déplacement (voyage, hôtel, location du cabinet) et qui ne sont pas venues, soit ne répondant pas à mes appels, soit en disant qu’elles ne pouvaient finalement pas ce jour là car elles préféraient partir en week-end, soit qu’ elles ont changé d’avis ou d’autres excuses. J’ai reçu des personnes pour qui j’ai été très généreuse au niveau de mon temps, qui ont plusieurs fois annulé, parfois même en ne prévenant pas et qui criaient à l’injustice lorsque je leur demandais de payer au moins une séance non assumée. J’ai reçu des personnes se plaignant du comportement de l’autre alors qu’elles-même faisaient des réflexions agressives. D’ailleurs, ce genre de personne hantent les réseaux sociaux. Gare à vous si vous avez un avis contraire car vous allez recevoir beaucoup d’agressivité. J’ai reçu des personnes qui faisaient du chantage pour que j’accède à leur demande. Etc. Une de mes connaissances est membre d’une association spécialisée pour les personnes HPI et elle me disait qu’il y avait des luttes de pouvoir, que cela criait à l’injustice alors qu’il y avait de la manipulation à tour de bras.
Alors un peu d’humilité et revenons à notre simple humanité qui nous fait souffrir pour les mêmes raisons que notre voisin.
Les surdoués du procès de Nuremberg
Pour sortir des anecdotes personnelles, une très bonne analyse de cas se trouve parmi les SS jugés au procès de Nuremberg. Ces personnes avaient toutes un QI supérieur à la moyenne et pour une grande majorité d’entre elles, un QI très élevé.
A retenir
Le sens de la justice et de l'injustice (hormis la Justice se basant sur la Loi) est quelque chose de personnel qui dépend de notre vision du monde. Les recherches sur la personnalité, les anecdoctes de consultation et l’étude des commandants nazis (SS) montrent que l'intelligence n'est pas corrélée au sens moral.